Rencontre avec une présumée victime de Bertrand Charest : reportage de Jacinthe Taillon
Charlotte (nom fictif) a gardé le silence pendant presque 20 ans sur les violences sexuelles qu'elle affirme avoir subies aux mains de l'ex-entraîneur de ski, Bertrand Charest. Depuis deux semaines, elle parle. Cette skieuse de haut niveau a été la première de 9 femmes à porter plainte à la police contre M. Charest, contre qui pèsent 47 chefs d'accusation.
Rappelons que les faits qui sont reprochés à l'ex-entraîneur se sont déroulés dans les années 1990. Bertrand Charest est accusé de contact sexuel et d'agression sexuelle pendant qu'il était en situation d'autorité à l'endroit de jeunes athlètes, alors âgées de 12 à 18 ans. Les événements seraient survenus à Mont-Tremblant et à l'étranger, notamment en France, en Autriche, en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis.
Si Charlotte a rompu le silence, c'est pour protéger d'autres enfants qui pourraient, à leur tour, tomber aux mains de Bertrand Charest. Car ce dernier avait encore, il y a quelques semaines à peine, de jeunes pupilles sous sa responsabilité dans un club de ski des Laurentides. Pour la skieuse qui, la première, a porté plainte contre lui, cette situation est inadmissible.
« C'est inconcevable que cet homme soit encore impliqué dans le ski. Il n'a pas de place dans ce sport. Je trouvais que c'était un risque. Que les jeunes étaient en danger, dans le fond. » — Charlotte (nom fictif)
Une rencontre fortuite avec Bertrand Charest dans un magasin de sport de Mont-Tremblant l'automne dernier avait eu l'effet d'un choc sur elle. À la seule vue de son ex-entraîneur, Charlotte s'était mise à trembler et à avoir les mains moites.
« J'en ai perdu mes moyens », confie-t-elle. Quand, à l'hiver, elle a appris que Bertrand Charest était toujours entraîneur, elle en a été bouleversée. « Je me suis dit que ce serait trop horrible et tragique qu'une petite fille vive ce que moi j'avais vécu ».
Elle n'avait que 12 ou 13 ans lorsqu'elle a connu Bertrand Charest. Il n'était pas encore son entraîneur que déjà, lors de parties de basketball avec les autres coéquipières, il lui faisait « des attouchements inappropriés ».
Et il y avait plus; un ton, une manière de lui parler, une attitude, bref, beaucoup de choses chez cet homme indisposaient Charlotte. « Je ne savais pas trop quoi faire. Il faisait des choses pas trop l'fun ».
Une personne en autorité
À 15 ans, elle avait Bertrand Charest pour entraîneur et là, « ça a été trop loin ».
L'équipe d'athlètes d'élite dont elle faisait partie était appelée à voyager beaucoup et dans ce contexte, l'entraîneur se devait d'agir aussi comme un « parent », un gardien. Une personne en autorité, quoi.
Il y a eu des périodes durant lesquelles la skieuse rassemblait son courage et disait « non » aux agressions. Les conséquences ne se faisaient pas attendre : « Il arrêtait de me coacher, il m'ignorait, il ne me parlait plus », se rappelle la jeune femme.
La jeune athlète qu'elle était, qui rêvait de médaille olympique et de victoire aux championnats du monde, en souffrait forcément : « J'avais du talent et de grandes aspirations. On était les meilleures skieuses du pays, les aspirantes, la nouvelle vague ».
« Je ne sais pas comment ça a sorti mais, à un moment donné,poursuit-elle, on a su qu'il avait des relations avec plusieurs filles de l'équipe en même temps, qui étaient sur place, en France. Le dirigeant d'Alpin Canada a pris l'avion, il est venu en France et ils l'ont congédié, sur place. »
Quand le dirigeant en question a demandé à Charlotte si elle était du nombre des victimes, elle a dit non. Elle n'en a pas parlé non plus à ses coéquipières.
« J'avais honte de ce qui s'était passé et j'étais pas capable de l'avouer. » — Charlotte (nom fictif)
Continuer, malgré tout
L'entraîneur congédié, qu'ont fait alors les skieuses? Elles ont skié. « On s'est entendues qu'on continuait. On était aux championnats du monde juniors, c'était le rendez-vous de l'année. »
Encore aujourd'hui, cette skieuse ne sait pas trop comment Alpin Canada a géré l'affaire, mais elle a la nette impression que « ça a été camouflé ». « En ski, pour notre groupe d'âge, il n'y a pas eu d'enquête. C'est tombé mort. »
Et, comme elle avait décidé de se murer dans le silence, Charlotte n'a pas su ce que ses coéquipières savaient au sujet de Bertrand Charest, ni ce qu'elles avaient pu subir.
« J'ai gardé ce secret pendant presque 20 ans, je m'en voulais et je pensais que c'était de ma faute. » — Charlotte (nom fictif)
Il a fallu beaucoup de temps à cette femme pour comprendre qu'en réalité, elle avait été victime d'un homme qui a usé de son pouvoir et de son emprise pour « faire ce qu'il a fait ».
Rompre le silence
La première démarche qu'elle a entreprise pour dénoncer son ex-entraîneur a été de contacter la Fédération des entraîneurs de ski du Canada à qui elle a fourni les dates des événements dont elle affirme avoir été victime.
Après révision de son cas par un comité, le directeur de la Fédération lui a laissé un message selon lequel il ne pouvait rien pour elle en raison du fait que les événements qu'elle alléguait étaient antérieurs à la publication du code de conduite de l'organisation.
Cette fin de non-recevoir l'a déstabilisée. « J'étais fâchée, triste et frustrée de me faire dire : ''non, on ne peut pas agir'', même sur la base d'une plainte formelle », dit-elle.
Quelques semaines plus tard, elle a porté plainte à la police.
Au sujet d'Alpin Canada et de la Fédération des entraîneurs de ski du Canada, Charlotte ne mâche pas ses mots et exprime sa déception. « Ils ont tous joué à l'autruche pour ne pas perdre leur job et parce que c'est un sujet délicat et triste. Il y a de l'argent là-dedans. Aux yeux des commanditaires, c'est mal vu. »
À son avis, si quelqu'un était allé « au fond des choses », elle n'aurait peut-être pas eu à entreprendre les procédures qu'elle a récemment entreprises.
« C'est une violence qui a été cachée sous le tapis. Ces gestes ont affecté ma vie et l'affectent encore. [...] Il faut que justice soit faite et elle est en train de se faire. Bonne nouvelle. » — Charlotte (nom fictif)
D'après une entrevue de Tamara Alteresco
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